Les mobiles de Freycinet ne différaient pas sensiblement de ceux d’autres officiers contemporains qui devaient à leur tour mener à bon terme des expéditions marquant de l’ambition, tels que Duperrey, Dumont d’Urville, Hyacinthe de Bougainville, Laplace, Vaillant et Dupetit-Thouars. Pourtant en voulant se distinguer, Freycinet avait aussi une vraie passion pour les sciences, surtout pour les observations magnétiques et pour l’hydrographie. L’objet principal des sa circumnavigation était la physique et les observations magnétiques. Les instructions officielles de l’Académie des Sciences insistaient sur l’observation des phénomènes magnétiques, la pression atmosphérique, la température de l’air et de l’eau à diverses profondeurs et la salinité de l’océan.
Quant à l’itinéraire prescrit par les bureaux de la Marine, l’Uranie devait faire voile vers le Brésil et le Cap de Bonne-Espérance avant de faire escale à l’Île de France pour se ravitailler. Elle allait ensuite visiter le Port du Roi George et la Baie des Chiens Marins en Australie. Selon les Instructions, Freycinet allai mettre le cap sur Timor : « En conséquence il pourra toucher à Timor pour s’y ravitailler s’il le juge à propos […] On peut supposer qu’il est nécessaire de quitter Timor ou Amboine à la mi-avril, afin d’arriver à Waigiou au commencement de mai et en partir à la fin de juin. » Le « Plan du voyage » prescrivait à Freycinet de s’arrêter à Guam, à Hawaï et à Tahiti et insistait sur l’importance du Port Jackson : « C’est un lieu qui offrira des ressources et des rafraîchissements de tout genre, et où les équipages se remettront de leurs fatigues. Le sieur Freycinet immédiatement après l’avoir quitté, fera route sur l’extrémité de la Nouvelle-Zélande et relâchera à Dusky Bay. » La Terre de Feu, les Iles Sandwich et le Cap Circoncision marquaient d’autres étapes et l’Uranie devait rentrer en France en suivant la côte occidentale d’Afrique et la Guyane. Un des principaux objectifs de cette expédition était la reconnaissance de la Terre d’Arnhem « qui n’a été reconnue par personne depuis que la navigation s’est perfectionnée. »
Aucune intention politique ne semblait se cacher derrière ces instructions officielles ; il ne s’agissait pas, comme ce fut le cas pour Duperrey, de trouver un site pour un nouveau pénitentiaire français aux antipodes. Freycinet n’était pas tenu non plus, comme Hyacinthe de Bougainville, de faire un rapport détaillé des forces militaires anglaises en Nouvelle-Galles du Sud.
Freycinet avait restreint son Etat-major pour des raisons d’économie. Il s’en fallut de peu que Dumont d’Urville en fît partie. S’étant rendu à Toulon et ayant appris que les officiers de l’Uranie étaient déjà choisis, il se porta quand même volontaire pour la mission, mais en vain. D’Urville dut attendre le voyage de la Coquille en 1822 pour connaître les émois et les joies d’un périple. Le 22 octobre 1816, Freycinet se vit offrir la Coquille qui devait servir à Duperrey six ans plus tard, mais il la refusa et alla lui-même à Toulon choisir la Ciotat, corvette d’environ 350 tonneaux, qu’il rebaptisa l’Uranie.
Les réparations et l’ameublement coûtèrent près de 167 000 Francs. Le commandant, amateur de livres de voyage, fit embarquer une bibliothèque de 200 tomes, parmi lesquels on note The Present state of New South Wales de John Caampbell, que Freycinet obtint par l’intermédiaire du consul de France à Londres. Il fallut aussi prendre à bord un grand nombre d’instruments de physique, d’astronomie et de navigation. La corvette Uranie était longue de 112 pieds, large de 28, avec un creux de 14 et portait deux canons de 6. Il n’est donc pas surprenant que Rose de Freycinet se soit sentie cernée dans un bâtiment si étroit, qui hébergeait plus de 125 hommes.
Contrairement à l’itinéraire original proposé par Freycinet et approuvé par les Ministères de l’Intérieur et de la Marine, l’Uranie ne fit escale à Dusky Bay en Nouvelle-Zélande, ni au Port du Roi George en Australie, ni encore à Tahiti. Le voyage fut néanmoins prolongé de six mois, principalement à cause du naufrage à la Baie des Français et du séjour forcé aux Malouines.
Freycinet rentra au Havre le 13 novembre 1820 sur le Mercure qu’il avait acheté et rebaptisé la Physicienne, après des escales à Montevideo et à Rio de Janeiro.
(Marc Serge Rivière)