Représentant toute la Provence à petite échelle, cette carte est une source précieuse de renseignements pour les noms de lieu et l’importance des villes, villages et bourgades de la fin du XVIe siècle : nombre de communes y sont cartographiés pour la première fois. Le Rhône marque la limite occidentale de cette carte, avec la Camargue, la Durance la limite septentrionale. A l’est la carte s’arrêt à San Remo.
On y trouve le réseau hydrographique, les lieux habités, avec un codage qui indique leur importance et quelques places fortes isolées comme la Grosse Tour de Toulon et le fort de Brégançon. Les régions montagneuses sont signalées, ainsi que les zones boisées. Les chemins ne sont pas représentés. Elle est globalement exacte même si le dessin des côtes et des îles est très approximatif. On retrouve, dans le coin gauche, l’inévitable rose des vents avec ses trente-deux directions ainsi qu’une petite galère, et dans le coin droit, un navire de haut bord et un dauphin, courroucé d’avoir été dérangé.
Cette première carte de la Provence connaîtra plusieurs rééditions, avec de légères différences.
Dans l’édition de Jean Leclerc dans son « Théâtre géographique du royaume de France » (1622), reprise par Jean Boisseau dans le « Théâtre des Gaules » (1642), on remarque peu de changements. On la retrouve également publiée en 1631 à Amsterdam « Apud Guiljelmum Iansonium et Johannem Blaeu » (format : 38,5 x 54 cm).
Abraham Ortell (Ortel, Ortels, Ortelius), né le 14 avril 1527 et mort le 28 juin 1598, fut reconnu avec Gérard Mercator comme le « père de notre géographie moderne ».
À la mort de son père, Abraham avait douze ans. Son oncle Jacques van Meteren partagea toute son affection entre son fils Emmanuel et son neveu Abraham. Alors qu’Emmanuel poursuivait ses études d’humanités à Tournai et à Duffel, son cousin devait abandonner celles qu’il venait d’entamer et commencer son apprentissage dans un atelier de graveur de cartes. Dès 1547, il est inscrit à la guilde de Saint-Luc en qualité d’enlumineur de cartes. Il reprit aussi l’affaire d’antiquaire de son père. Chaque année, Abraham se rendait à Francfort où se tenait la plus grande foire aux livres d’Europe. Il y achetait des cartes et des objets précieux qu’il revendait à ses clients.
Une rencontre devait avoir sur la vie d’Ortelius une grande influence. C’est en 1554, à Francfort, qu’il fit la connaissance de Gerardus Mercator. Celui-ci venait de publier sa carte de l’Europe, carte qui avait été un véritable événement dans le monde scientifique du temps. Les rapports commerciaux établis entre les deux hommes se transformèrent vite en amitié. Mercator, mathématicien, eut tôt fait de communiquer son enthousiasme à son jeune émule.
Pour Ortelius, la voie qu’il s’était tracée, s’élargissait vers de nouvelles ambitions : l’enlumineur de cartes allait désormais s’attacher à les tracer, à les composer et à les réunir.
En 1560 en compagnie de Gerardus Mercator, de Franz Hogenberg, de Philippe Galle et de Jan Sadeler, il visita Trèves et la Lorraine. À Poitiers, les voyageurs s’arrêtèrent devant la Pierre-Levée, monument druidique et y gravèrent leurs noms. Pour Ortelius, c’est bien là, semble-t-il, sa première signature de géographe ! De retour à Anvers, il réunit ses observations et dessina sa première carte.
À cette époque, les grands armateurs anversois possédaient des officines destinées à tracer la route des navigateurs, à prévoir les directions des vents et à évaluer les dangers de perte des navires.
Les armateurs gardaient de grandes cartes, stockées en rouleaux, véritables itinéraires tracés. La lecture en était difficile, l’usage peu pratique. Profiter des expériences acquises, grouper les divers itinéraires, ramener les cartes à une unité de projection, présenter ces documents sous un format maniable, les compléter à l’aide des dernières découvertes, en un mot, composer un atlas, tel sera le but d’Ortelius. Il y parviendra avec succès.
Le Theatrum orbis terrarum sortit de presse, le 20 mai 1570, imprimé aux frais de l’auteur, chez Gilles Coppens, à Anvers. L’ouvrage était dédié au roi Philippe II d’Espagne, et comptait 53 cartes.
Ce livre, qui avait demandé plusieurs années d’un travail intensif, répondait à un besoin public. Il connut, dès son apparition, un succès prodigieux. La première édition fut rapidement épuisée et, la même année, paraissait une deuxième édition latine. En 1571, une troisième édition latine et une édition flamande ; l’année suivante, une édition allemande et une édition française.
Mercator ne ménagea pas d’éloges son confrère ; les deux géographes, rivaux de gloire, étaient liés par une solide amitié. Ils étaient d’ailleurs d’un génie différent; le premier calculait les coordonnées, élaborait, organisait; le second assemblait les matériaux, les améliorait et les publiait avec grand soin.
Ortelius n’eut pas seulement le mérite de populariser l’étude de la géographie, il suscita de nouvelles recherches et, grâce à lui, de nombreuses cartes furent levées et publiées. Le Theatrum eut une vogue considérable et connut 25 éditions du vivant de son auteur ; le succès perdura, après sa mort, jusqu’en 1612.
L’ouvrage était d’un prix élevé, il coûtait 30 florins ; et Max Rooses écrivit que l’atlas d’Ortelius était le livre le plus cher du XVIe siècle